The Sandbox et le défi de l’UGC.
La sortie de la version alpha de The SandBox est l'occasion de rappeler que cet espace virtuel n'est pas seulement un jeu mais un nouveau paradigme dans l'univers de l'UGC. Dans The Sandbox les usagers peuvent via une suite d'outils fabriqués sur mesure pour les besoins du jeu, concevoir les NFT qui peupleront ce dernier. Ce contenu généré par les joueurs est d'une qualité remarquable dans The Sandbox, si bien qu'il m'apparaît tout à fait neuf dans l'univers du jeu vidéo d'avoir rendu aussi malléable et accessible la création d’éléments destinés à intégrer le jeu.
Dans ma courte histoire de joueur j'ai pu rencontrer deux autres fois une excitation pareille — et même plus forte, l'époque aidant — à la vue de tels systèmes de construction. La première fut Minecraft — bouleversement total de l'équilibre des planètes — monde ouvert où il m'était rendu possible de tout créer jusqu’aux systèmes électriques complexes de mes rêves. Je vous vois les passionnés de la Redstone et autres constructeurs de calculatrices. L’esthétique tout en blocs du jeu de Mojang m'a passé avec le temps, mais je dois reconnaître que dans la limite esthétique qui était imposée aux joueurs nous trouvions toujours une créativité étonnante de ressources.
La seconde fut plus tardive, elle eut lieu lors de mon arrivée sur ce magnifique serveur privé de Dofus où lorsque le prix de l’abonnement étant devenu trop cher sur les serveurs d'Ankama nous avions migré avec mes amis. Les personnes qui géraient ce serveur avaient eu la bonne — ou très mauvaise — idée de créer un éditeur de cartes en dérivant des objets utilisés dans le jeu officiel. Moi, grand fanatique de Lego que je suis, j'ai fondu en deux temps trois mouvements sur cette opportunité qui s'offrait à moi. Et me voici en train de créer de toutes pièces un monde de glace, un monde de désert, des arènes grandiloquentes et j'en passe. Pour moi rien n'avait plus de valeurs que de pouvoir créer à partir de la matière qui à cette époque me passionnait : Dofus. Si mon amour pour la chose s'est amenuisé avec les jours c'est seulement pour deux raisons. J'avais fini par prendre une place certaine sur ce serveur, designer en chefs avant l'heure d'un monde fictif, et déjà on me rémunérait en visibilité (et avec une quantité pharaonique de monnaie virtuelle et des skins). Mais là n'est pas la question, j’étais plus que d'accord avec cela, vous savez ce que c'est la passion, ça fait faire des choses étranges.
Le vrai problème de ce néo UGC est que nous nous sommes retrouvés dans l’anarchie la plus totale. Moi qui pensais être un coordinateur zélé de ce monde nouveau, j'ai découvert dans la stupeur que nous étions plusieurs chérifs dans ce FarWest. Les créateurs acceptaient sans restriction aucune les ajouts de tous les apprentis level designer sans même en jauger de la qualité. Le serveur a bientôt fini par ressembler à un coloriage d'enfant de cinq ans, et les joueurs perdus dans cet amas désordonné de mondes ont quitté le navire.
Les challenges qui s'ouvrent à The Sandbox pour voir les joueurs rejoindre leur arche de Noé plutôt que de se jeter par-dessus bords ne sont pas si différents : engager les joueurs, et préserver le jeu coûte que coûte. Leur position sur le segment à double tranchant de l'outil de production du contenu et de l'outil d'exploitation de ce même contenu leur donne un avantage certain, celui d'être à la fois l’émetteur et le récepteur du signal. Sébastien (CEO de The Sandbox), affirme dans sa communication qu'ils ont à cœur de maîtriser la qualité de l'UGC, et c'est pour moi la clef d'un monde à succès.
Roblox et Minecraft ont adressé le problème de la qualité des productions des joueurs en réduisant les potentiels créatifs offerts aux joueurs. De gros blocs, des actions. The Sandbox prend le risque d'offrir un univers plus ouvert que ses concurrents. Le risque d'un investissement plus faible des joueurs est à courir.
Face à un UGC parfois aléatoire en qualité, The Sandbox a déjà fait la démonstration d'une stratégie judicieuse pour conserver leur monde attractif : ils préservent en interne des capacités de production d'expériences sans en déléguer toute la responsabilité aux joueurs. C'est à mon sens un outil génial et quand on voit ce qu'ils ont été capables de construire autour de l'univers de Snoop Dogg. Tout y était d'une grande qualité, autant les NFT que les Lands. Même la vidéo d'introduction au projet était d'un grand professionnalisme.
Pourtant il se pourrait que de nouveaux métiers émergent dans la lignée de ce qu'il se passe parfois quand de nouvelles économies sont rendues accessibles au plus grand nombre. Je prendrais ici à titre d'exemple Airbnb et Uber. Toutes deux nouvelles sociétés transformantes d'une industrie vieillissante, elles ont vu se développer des métiers annexes à leurs services. Des poissons nageant à côté des baleines pour y trouver un peu de nourriture. On a vu apparaître des conciergeries Airbnb ou encore des services de nettoyages dédiés aux chauffeurs Uber. The Sandbox verra irrémédiablement de nouveaux services s'adjoindre — qu'ils le souhaitent ou non — à leur monde : c'est la beauté du métaverse (ou du capitalisme). Dans cette vague de nouveaux métiers, nous pouvons être prolixes dans nos imaginaires étant donné que The Sandbox dispose d'une frange importante de sujets pouvant être augmentés.
Avec bem.builders, nous agissons déjà en ce sens en proposant nos services comme architectes dans les différents multiverse. Mais poussons la réflexion encore quelques centimètres plus loin, imaginons la dérive du système du $SAND, imaginons des banquiers de The Sandbox comme il y a pu en avoir dans Eve Online ou encore des décorateurs d'intérieurs ou des gestionnaires de collections de NFT. Il n'y a qu'un pas entre la duplication des économies réelles dans le métavers, condition sine qua non de l'existence de ce dernier.
J'espère que The Sandbox saura relever les challenges qui sont les siens en brisant peu à peu les barrières à l’accès qu'il possède aujourd'hui et que ses équipes feront leur profession de foi au divertissement pour maintenir un plaisir de jeu toujours fidèle à la promesse des origines. Le $SAND ne grandira que par le jeu, le passé nous l'a prouvé maintes fois.
Entretiens avec Sébastien BORGET (Co-Fondateur & CEO de The Sandbox)
Quels sont les garde-fous que vous avez implantés dans votre métavers pour préserver l'esprit "jeu" de The Sandbox et être garants des productions générées par les joueurs ?
Avec TheSandbox nous tirons parti de l'expérience que nous avons développée dans le gaming depuis dix ans déjà. Depuis les premières itérations de notre jeu — sur mobile au début puis maintenant en 3d et sur la blockchain — nous nous sommes attachés à offrir à nos joueurs / nos créateurs, des cadres créatifs qui les inspirent et les guident afin de ne pas les laisser face au syndrome de la page blanche. Aujourd’hui nous disposons d'une suite d'outils qui permettent à la communauté de créer du contenu simplement et de manière guidée : le GameMaker et les templates. Ces outils agissent comme un sas de décompression entre la créativité sans limite des créateurs et notre univers. Nous avons aussi lancé des GameJam sur des thématiques précises au cours de l'année passée. Ce système nous a permis de comprendre à quel point la créativité de notre communauté était impressionnante : notre système de gameplay à mème était détourné pour créer de nouveau style d'aventure comme des jeux de tir. Cela dépasse en tout point l'aspect esthétique des skins et du level design, c'est vraiment un niveau supérieur d'UGC. Avec ce niveau de qualité dans les productions de notre publique, je pense que nous allons pouvoir maintenir notre stratégie ; aujourd’hui nous avons une équipe en interne de plus d'une dizaine de Level Designer qui planche sur nos expériences, mais à l'avenir nous souhaitons représenter moins de 90 % des productions de The Sandbox. Je suis convaincu que nous avons la communauté pour cela.
Pensez-vous que l'économie d'un métavers comme The Sandbox puisse connaître des parallèles avec l'économie réelle : avoir des banques tenues par des joueurs, avoir des décorateurs d’intérieurs et des artisans fabricants de skins ? Est-ce votre ambition ? Seriez-vous contents d'un tel engagement des joueurs, comme on a pu le voir dans WoW ou Eve Online.
Je suis content que vous évoquiez ces MMORPG pour la bonne raison que ce sont des jeux qui ont su vivre et rester attractif très longtemps. Dans ces jeux c'est vrai qu'il y a une forte implication des joueurs dans les mécanismes de vie du jeu qui s'organisent autour du gameplay central. Je suis convaincu que la tokenization (la mise sous forme de token d'éléments du jeu) va accélérer ce processus.
J'irais même plus loin en affirmant que de nouveau métiers vont faire le pont entre les mondes virtuels et le marché du travail réel. Je pense qu'il va y avoir un boom des métiers de la production d'assets, nous avons déjà pu nous en apercevoir sur notre Discord ou même lors des GameJam.
D'autres métiers suivront la même logique, nous voyons déjà apparaître des agences de virtual estate comme Republic Realm.
Aujourd’hui Fortnite est un véritable tunnel publicitaire et semble être devenu un passage obligatoire pour toutes tournées de promotion dans n'importe quel secteur. Quelle est votre politique quant aux partenariats ?
Il est vrai que Fortnite est devenu un TimeSquare digital. C'est devenu un passage obligatoire de tout road-show de promotion. C'est un changement de paradigme dans le monde du jeu actuel, mais c'est ce qui leur permet d'être gratuits et accessibles à tous. On se souvient d'expérience où certains jeux avaient tenté des expériences publicitaires dans leurs univers avant de rétropédaler. Je pense que l'économie de la blockchain va nous apporter quelque chose de radicalement différent : la détention des assets par les joueurs. Cette possibilité nouvelle va autoriser de nouveaux modèles économiques après 25 ans d'une économie du jeu vidéo pilotée par les gros studios. Il faudra rééduquer les joueurs c'est certain. Chez nous la publicité est une véritable question, nous avons besoin de préserver notre expérience usager et notre jouabilité à tout prix. Pour le futur des multiverse, il faut que l'on se pose collectivement la question des entreprises à qui nous souhaitons donner les clefs de ces nouveaux espaces. Est-ce que l'on part à nouveau sur un modèle 2.0 où toute la publicité en ligne est contrôlée par les GAFAM ? Ce sera c'est sur la bataille des jeux vidéo et des expériences ludiques dans les dix à vingt prochaines années.