Les NFT : tokenisation, aller plus loin que la collection.

Si vous êtes en train de lire cet article c’est que vous aussi vous vous demandez où les NFT sont en train de nous mener. Aux premiers jours j’ai trouvé le potentiel de ces objets fabuleux. En tant que jeune designer stratégique j’y ai vu tant des projets. Des projets pour changer la manière avec laquelle nous rémunérons la création de valeur dans les écosystèmes entièrement numériques ou encore de nouveaux moyens d’organiser des groupes sociaux dans des espaces virtuels. Depuis les NFTs ont peu à peu déviés vers des suites de collections d’objets servent à valoriser son argent. Je suis OK avec cela, chacun fait bien ce qu’il veut. Mais est-ce qu’on ne peut pas aller plus loin, imaginer plus riches interactions pour ce médium encore rempli d’usages non exploités pleinement ?

Les NFT ne passeront pas à une échelle d’objet usuel collectif et populaire avant d’avoir pu sortir des sphères de niches où ils sont cantonnés aujourd’hui. Les collectionneurs (et revendeurs) de sneakers sont probablement des fidèles des récents drops de NFT sur StockX. Mêmes pratiques, même personnes. Ce caractère de niche, entretenu par la possession d’avatar démontrant de son appartenance à un groupe social restreint, renforce le sentiment réfractaire que le grand public peut parfois avoir à l’égard des NFT considérant ces objets ni plus ni moins que comme des « Jpeg en pyramide de Ponzi ». Les NFT aujourd’hui sont des biens culturels plutôt peu accessibles (sans parler des barrières à l’entrée technologiques et techniques).

Quelle pédagogie et quels standards devons-nous créer pour passer d’un modèle centré sur l’accroissement de la valeur financière à un modèle centré sur le développement de la valeur d’usage ? En d’autres mots, comment pouvons-nous faire comprendre au plus grand nombre que les NFTs vont plus loin que ce qu’ils sont aujourd’hui ? Je crois qu’il est nécessaire pour cela de faire la démonstration d’un usage résolument utile de ces derniers. Il faut apporter la preuve que la mise sous forme de token de certains services peut être une véritable avancée pour certaines industries. Je pense à la culture en premier lieu.

La musique utilise déjà les NFT pour créer une relation de proximité et un schéma de rétribution participatif. Des artistes comme Jacques ont vendu aux enchères des morceaux de chansons sous forme de NFT. La démarche est proche du financement participatif à la différence que les contributeurs se voient rétribuer selon les écoutes du titre. Les revenues sont automatiquement partagées entre les Token Holder inscrit dans le Smart Contract. Le NFT est un tiers de confiance puissant ici qui garantit un partage juste des revenues et qui se pose en modèle financier alternatif au système des majors.

Je pense aussi au jeu d’échecs Immortal Game qui embarque des mécanismes de quêtes et de pièces basés sur une économie tokenisée. Les créateurs ont décidé de proposer à leurs joueurs des quêtes pour enrichir l’expérience d’une partie d’échecs, et donner des objectifs à longs termes à ces derniers. Pour les inviter à relever ces défis, ils ont mis en place des récompenses sous forme de token qui donnent le droit d’acquérir des pièces avec des capacités plus fortes. Ces pièces améliorées permettent d’accéder à des ligues de jeu plus gradées, et de défier des joueurs plus expérimentés. La complétion des quêtes apporte aussi la possibilité de gagner un second type de token. Ces derniers, qui représentent des parts du capital de l’entreprise, rentrent dans un mécanisme de gouvernance plus poussé qui permet aux joueurs d’interagir dans les directions que prendra le jeu plus tard.

Dans un autre style, Mirror, la plateforme de publication de textes décentralisée permet à des créateurs de contenu de gérer leur communauté et leurs revenus grâce à de nombreux outils comme la Token Race. C’est un modèle de gouvernance qui permet de laisser voter son auditoire pour les prochains sujets qui vont être écrits. Ils proposent également une fonctionnalité de crowdfunding qui permet à tous de venir soutenir la création d’un article. Dernièrement Miror a développé une fonctionnalité de partage de bénéfices entre les coauteurs d’un contenu. Cela ouvre la voie à la création de rédactions de média sous forme totalement autonome.

Dans mon travail de designer pour BEM.Builders j’essaie tout le temps de transposer les mécanismes de tokenisation que je vous ai présentés plus haut dans les projets que nous proposons à nos clients lorsqu’ils souhaitent que nous les fassions rentrer dans un univers virtuel. Ils sont à savoir :

• Trouver comment impliquer la communauté qui gravite autour de nos clients dans notre expérience en ligne ?

• Comment mutualiser la création de valeur pour mieux la partager en suite ?

• Comment penser le NFT comme un passeport vers des expériences collectives plutôt que comme un objet de spéculation ? Je propose toujours à nos clients de laisser les usagers collecter les NFT en échange d’une action de leur part qui à du sens dans le projet, et de ne pas leur demander de contribution financière.

• Comment créer des espaces virtuels qui accueilleront cette communauté dans un monde virtuel ?

• Comment ces espaces reflètent-ils les engagements et les passions de nos clients ?

• Comment faire en sorte que ces espaces restent animés ?

• Comment tirer parti des mécanismes de gamification s’il y en a ?

• Comment faire en sorte que les membres se sentent important dans la construction de l’expérience proposée et comment leur faire comprendre la valeur qu’ils peuvent y trouver ?

Pour ceux d’entre vous qui ont joué aux MMO RRPG, ces mécanismes ne vous sont pas étrangers. Le Metaverse — qui n’est pas encore une réalité — ne sera pas bien différent de ce que nous avons connu dans certains jeux en ligne. À l’époque des guildes dans World of Warcraft, les preuves qu’une organisation digitale pouvait être stable sans le moindre concept de tokenisation étaient nombreuses. Je suis convaincu que les membres de ces nouveaux groupes sociaux qui se formeront dans les Metaverse (possiblement sous forme de DAO) le feront pour les mêmes raisons qu’aujourd’hui dans le monde réel : pour appartenir à un groupe social qui partage le même système de croyance et de valeurs.

Il n’y a finalement pas beaucoup de différence entre le fait d’aller chasser des monstres en groupe dans The Sandbox que de faire la curation d’un espace d’exposition à plusieurs. Tout est affaire de collectif et d’envie, et pour faire le lien avec notre précédent article, il me semble y voir là un autre grand défi pour les multivers et leurs modèles d’UGC. Cette création de valeur par les usagers sera accompagnée c’est certain par l’évolution des NFT, des DAOs et de la tokenisation en général. Et si aujourd’hui l’usage des NFT est très primaire ce n’est que pour mieux se fondre dans des pratiques beaucoup plus fines qui prendront place prochainement dans les mondes virtuels :

- L’art crypto va passer l’épreuve de la pratique curatoriale, qui est une pratique qui va permettre de faire le tri entre les œuvres ayant un attrait certain et les œuvres de qualité moindre.

- L’usage des Wearables va évoluer à mesure que leur usage sera possible dans différents mondes virtuels et les communautés vont s’en approprier les codes.

- Les mécanismes de Rewards et de play to earn vont s’équilibrer et les plus dérégulés d’entre eux n’auront plus lieu d’être puisqu’ils n'apportent qu’une perte du caractère divertissant des jeux en ligne.

Au final, le Metaverse va raffiner les pratiques du web3.0. Ces dernières permettront l’émergence de comportements très intéressants j’en suis certains.